Entretien, lecture: https://www.youtube.com/watch?v=ogQmF7XaoUg
Les 154 Sonnets de Shakespeare parus, en volume in-quarto, en 1609, étaient connus de ses proches depuis une dizaine d’années déjà, sans doute plutôt récités que lus.
La forme et la langue font le caractère exceptionnel de cette oeuvre plus que les thèmes abordés, qui, comme le plus souvent en poésie, sont moins originaux que celles-là, et leur servent d’aliment, pour ne pas dire de prétexte : «Celui ou celle que j’aime est une beauté ou ne l’est pas, est fidèle ou non, pauvre de moi la passion m’aveugle, le temps détruira tout…» On peut gloser sur ce à l’infini sans pour autant approcher en quoi la façon dont Shakespeare nous en parle en fait le prix.
Pourquoi et comment ces vers s’incrustent-ils dans notre oeil et notre oreille ?
Par le caractère oraculaire et incantatoire de la musique de leurs mots.
Par la qualité de leur rhétorique, mot aujourd’hui déprécié, alors qu’il signifie «art de l’éloquence».
Le rythme du pentamètre iambique et la rime sont les instruments principaux de la rhétorique qui rend la langue de Shakespeare inoubliable car comme sortant de la bouche d’un oracle dans un rythme imperturbable comme le destin.
À quoi s’ajoutent les assonances et allitérations, et les répétitions et échos de mots identiques ou cousins, dans un Sonnet, et d’un Sonnet au précédent ou au suivant.
Si la langue de Shakespeare est incomparable, c’est d’abord par ses caractères «physiques»: sa sonorité, son rythme, sa musique.
L’ambition du traducteur aura été d’en donner une idée en jouant le même jeu, de produire une sorte de «calque» utilisant les mêmes procédés et le même rythme, pour donner au lecteur ignorant l’anglais un écho de ce qui est à l’oeuvre dans cette langue, et au lecteur lisant l’anglais mais ne «l’entendant» pas nécessairement, un outil qui l’y aide en reflétant, autant que les moyens ont pu en être trouvés, les spécificités métriques et prosodiques du texte original.