3 - 3 sur 19 résultats

Les Poèmes indésirables

12,00
Prix TTC, frais de livraison compris


par Armand Robin

Interprétation typographique. Collection Polychrome, n° 3.

Juillet 2014 - 72 pages, 136 x 205 mm - isbn 978-2-84505-164-5.

NB. Nous renvoyons au recueil plus complet, Les Poèmes indésirables suivis des articles pour Le Libertaire, publié en mars 2023.

Le mythe critique – À propos d’Armand Robin 

Communiqué par Jean-Louis Mohand Paul, janvier-février 2023.

Ce texte a constitué le point de départ de la Postface, très développée, de notre nouvelle édition des Poèmes indésirables, suivis des Articles pour «Le Libertaire».

Françoise Morvan a publié en 2020, aux éditions Garnier, Armand Robin ou le mythe du Poète. Cette première édition, fort onéreuse et destinée aux bibliothèques spécialisées, a connu en 2022 une version en poche. 
Ce livre se présente comme la déconstruction d’un «mythe». En fait, il s’agit moins de celui supposé du «Poète» avec une majuscule: sous ce chapeau semble-t-il consacré, se plaçaient plutôt, à l’époque concernée, Cocteau ou Aragon, extrêmement populaires et diversement bavards sur ce «rôle» et sa prétendue exemplarité.
L’auteure ne conteste pas que Robin a poursuivi «une expérience littéraire hors normes», et une grande part de son ouvrage consiste dans une analyse mi-psychologisante, mi-ultra-critique de son œuvre multiple de poète (sans majuscule) « non-poète ». 
Françoise Morvan a fait savoir qu’Armand Robin l’a déçue. Elle l’imaginait libertaire, héros anarchiste; elle a perdu sa naïveté – sa croyance a-historique en ce que peuvent et doivent être le «rôle du poète militant» et son parcours dans une époque donnée, ou même quelle que soit cette époque. Ainsi a-t-elle (re-)découvert des contributions à des organes de presse post-maurassiens ou ses relations plus ou moins amicales ou professionnelles avec des intellectuels, autrement puissants en leur temps dans l’édition et nettement, ou ambiguëment, collaborateurs durant l’Occupation.
Redécouvert puisque des articles de cette période figurent déjà dans Écrits oubliés, tome I, Essais critiques, rassemblés et présentés par Françoise Morvan (Ubacs, 1986). Notamment les contributions à la revue Comœdia autour de 1942. Cette revue comportait alors les signatures de Henry de Montherlant, Jean Giono, Jean Paulhan, Jacques Audiberti, Jean Cocteau, Colette, Paul Valéry, Paul Claudel, Marcel Jouhandeau, Paul Morand, Jean Anouilh, Giroudoux, Jean-Louis Barrault, Honneger, Sartre (une fois), Beauvoir. Que de «mythes» à condamner ! Son directeur, René Delange, fréquentait le nazi éclairé Gerhard Heller, contrôleur propagandiste chargé de l’édition et de la «vie littéraire» française durant l’Occupation. Rien de ce qui a été édité durant ces années-là n’a pu l’être sans son aval préalable (il contingentait également le papier d’impression). Il pratiquait une permissivité tolérante (sauf l’antisémitisme), entretenant un alibi d’ouverture intellectuelle. Celle-ci conditionnait l’existence de Comœdia, «journal de qualité [qui ne fut] jamais polémique ni insultant ou délateur […] en s’en tenant à de stricts critères littéraires» (Pierre Assouline, Gaston Gallimard, 1985, cité par F. Morvan, Écrits…, I, op. cit., p. 114). 
On est surpris d’une notation en passant, à propos d’une lettre de Robin en 1943 : Éluard et Aragon, moqués pour leur «communisme» de grands bourgeois mondains,  y sont «cibles d’attaques d’une violence redoublée […], non pas au nom d’idées libertaires qui l’amèneraient [A. R.] à dénoncer l’inféodation des intellectuels au stalinisme tout-puissant, mais au nom d’un communisme authentique, c’est-à-dire authentiquement prolétarien, c’est-à-dire stalinien » (Mythe…, p. 210). Les c’est-à-dire en guise d’arguments établissent un amalgame selon lequel Armand Robin aurait été plus stalinien que les staliniens (sauf ce petit détail que constitue le pouvoir totalitaire). Pourtant l’anti-stalinisme a longtemps revendiqué et recherché un «communisme authentique» ; ceux morts pour cela sont innombrables. Notamment, l’auteure semble ignorer l’hypothèse du communisme libertaire, qui ne conçoit pas de contradiction entre «idées libertaires» et «communisme authentique». On apprécie la dernière conclusion, qui, en qualifiant de stalinien ce qui serait «authentiquement prolétarien», voue à l’enfer du mensonge déconcertant toute une classe historique…
 En suivant le répertoire établi par F. Morvan des contributions éparses de Robin, on trouve de 1956 à 1959 neuf articles parus à La Nation française. Cet hebdomadaire composite prétendait concilier pétainisme et Résistance (outre qu’il y eut des résistants nationalistes et des fascisants). Il ouvrait aussi ses colonnes à la gauche que l’on dirait aujourd’hui souverainiste. Il fustigeait l’époque de Vichy, refusait tout antisémitisme. Partisan de l’Algérie française au début de la guerre (il est fondé en 1955), il se rallie à la politique gaulliste à partir de 1958.
On trouve également quatre contributions (des traductions poétiques) à La Parisienne en 1954. Cette revue littéraire mensuelle hostile aux «engagements» des intellectuels de gauche (à la façon d’Aragon, Sartre…) était alors dirigée par François Nourissier; elle accueillait anciens résistants et anciens collaborateurs. Son ouverture à tout-va illustre le besoin d’appel d’air qu’éprouvaient l’intelligentsia non «communiste» et celle droitière dans une époque de reflux causé par le traumatisme du nazisme et par la prédominance de l’union sacrée centrisme-PCF. Si des fascisants et des fascistes y participèrent, y signeront également, et entre autres, Joë Bousquet, Albert Camus, la surréaliste Lise Deharme, Valentine Hugo, Françoise Sagan, Étiemble, Julien Green, Raymond Guérin, André Pieyrre de Mandiargues…
En 1947-1948, on compte une trentaine de contributions d’Armand Robin à Combat, issu de la Résistance, et où Camus joua un rôle important durant le début de l’après-guerre. Ceci atteste que le passé de Robin n’en faisait pas un exclu pour tout le monde. Il s’agit ici de chroniques non littéraires mais de critique disons sociologique, notamment autour de la fausse parole. Il est évident que les préoccupations de Camus quant au totalitarisme et celles de Robin à propos de la langue de la propagande pouvaient se rencontrer. Notons que ce quotidien aussi accueillait des auteurs de bords et de positions politiques opposés, y compris lors des guerres coloniales, dont des partisans de l’Algérie française. Camus lui-même, plus que réticent devant l’indépendantisme algérien, nourrissait une hypothèse de réformation de l’influence française, à l’instar de nombreux membres, français et algériens, du «monde du contact». Dans le contexte de l’époque, ces opinions n’équivalaient pas à soutenir l’OAS. 
Rares sont les citations précises, que Françoise Morvan surinterprète à grand renfort d’amalgames. À défaut, elle  prouve que tel auteur plus ou moins fréquenté par Armand Robin à différents moments a connu tel autre qui a connu tel autre qui était un fieffé fasciste. Dans un milieu professionnel d’intellectuels et d’écrivains relativement restreint, c’était sociologiquement inévitable. Mais il ne faut pas trop étirer ces correspondances supposées. Par exemple (Mythe… p. 349) à propos, durant l’après-guerre, des abonnés payants de son bulletin d’écoutes: «avec [l’un d’eux] Henri Martin, son gendre Pierre de Villemarest et Georges Albertini, nous touchons aux réseaux de la Cagoule», dont l’époque active remontait aux années 1930. Ou pp. 256-257, concernant Jean Paulhan en 1953, signant avec Tixier-Vignancour une pétition en faveur de Rudolf Hess ou soutenant le négationniste Paul Rassinier. Françoise Morvan n’atteste nulle part que Robin se soit lié à ces calamiteux personnages, mais de relais en relais ils font ombre de réalité au soupçon de fascisation sournoise.
Quasiment tous les organes de presse où Robin a plus ou moins contribué selon les temps pratiquaient une ouverture et une multiplicité d’orientations politiques, lorsqu’il ne s’agissait, à ses débuts avant-guerre, d’organes de gauche (chrétienne ou non). C’est une condition des débats dans ces temps, lorsque la presse dogmatique ou populiste dominaient de façon écrasante. Robin a publié dans des organes indépendants ou du moins pluriels, où figuraient de nombreux auteurs dont on ne met pas pour ce seul motif la réputation en cause. Et ces organes ne pratiquaient pas, comme le faisaient alors L’Humanité ou Les Lettres françaises, l’exigence et le contrôle dogmatiques d’une adhésion militante exclusive et conforme.
Une démesure certaine confine au procès politique lorsque Françoise Morvan dresse le portrait d’un Armand Robin pauvrement opportuniste, qui aurait «servi sans désemparer» tous les pouvoirs : «proche du Front populaire en 1936, rallié à Vichy en 1940, farouchement stalinien en 1943, partisan d’une troisième voie après 1947 et désormais jusqu’au bout farouchement anticommuniste» (Mythe…, p. 347, «anticommuniste» valant sans doute pour anti-stalinien; mais comment le décrire «stalinien en 1943», alors que son «retour d’URSS» remonte à 1935?). Quel farouche serviteur! 
«Sans désemparer»? L’auteure évoque elle-même une crise personnelle majeure et un désarroi en 1942-1943 («une crise d’une grande violence», notait-elle déjà dans les Écrits oubliés, I, p. 124) ?  Cette crise personnelle, décisive dans l’évolution de son écriture, est fréquemment évoquée par Robin lui-même: «J’ai pourtant fauté: Chez la canaille littéraire sept ans j’ai porté / Les bruissements si frais que vous m’aviez donnés ; / J’ai tournicoté chez les champions de la fausseté, / J’ai mendié ma place auprès des maîtres en vanité.»
 Mais en quoi a-t-il «servi»? Placer des textes de critique littéraire et des traductions poétiques n’en fait pas un zélateur notoire ni très utile. 

À l’heure de sa mort on lui envoya des délégués
    Représentant la société

Lorsque sur le lieu de son non-lieu ils arrivèrent
    Il avait fini de mourir

    Et tous dirent :
« En lui aucune âme à recueillir ! »

    Il avait demandé, disait-on,
Que plusieurs siècles après sa vie il fût encore humilié.

(Fragment, vers 1944, cité dans Fragments, Gallimard, 1992, p. 198.)

****************

 

Les Poèmes indésirables, prière d'insérer de l'édition dans la collection Polychrome (2014) :

Ce recueil parut en 1945 aux Éditions anarchistes, Paris. Le cri révolté contre le totalitarisme dans ses versions surtout stalinienne, et aussi nazie, fasciste et capitaliste, émerge dans la nuit de la Seconde Guerre mondiale. Peuvent surprendre au prime abord la reprise de termes bolchéviques archétypaux et l’apparente prédilection pour des slogans prolétariens. C’est que l’auteur opère un renversement contradictoire de thèmes accaparés par la terreur dogmatique des bureaux et des massacreurs. Il détourne le messianisme de l’idéologie en épreuve d’une tragédie individuelle renvoyant à une crise de conscience collective. Cette tentative sape l’apanage ouvriériste fictif du Staline et la norme aragonesque d’une poésie utilitaire et inféodée, sous prétexte d’un «engagement», au conformisme et à la délation.

Aragon est alors le proscripteur-roi de la vie intellectuelle domestiquée dans la France «libérée»; mais la colère d’Armand Robin va bien au-delà de l’«interdiction professionnelle» qui le frappe et le condamne à une quasi-indigence. L’enjeu est une poésie entière par-dessus la déréliction destructrice de la misère de masse, quand sur un champ de ruines se modernise et se perd le monde : poésie à même peut-être de dégager une liberté spirituelle autant qu’empirique contre l’omnipotence du mensonge.

L’auteur de La Fausse Parole expérimente, à travers des vers fulgurants, la désubstantiation des mots et de la vie: « Votre pain, c’est du pseudo-pain, / Votre vin, c’est du pseudo-vin. / Vos mots sont tous truqués, / Vos vies sont toutes faussées. — Les épouvantes dont on vous parle / Ne sont pas la vraie épouvante.» Ce qui tient à la fois du constat et de la prémonition apparaît, au creuset d’une solitude confinée dans un univers de hurlements, en correspondance (comme des annonces-échos) avec maintes critiques modernes (orwellienne, debordiste…).

Le destin d’Armand Robin n’est pas sans analogie avec celui du Consul d’Au-dessous du volcan, quoique
pour d’autres raisons – la mort que l’on est allé chercher dans un imbroglio avec des serviteurs de l’ordre, comme un absurde aléa et qui est un signe délibérément créé. Il est une clé, poignante, de ce recueil («Ne dites pas qu’on ne peut pas le faire», dit le «non-tué») : alors qu’il s’était déjà dénoncé, sans résultat, auprès de la Gestapo, le poète plus tard prit coutume de déranger, railleur, un commissaire de la République. Le «non-tué» eut gain de cause, une nuit de 1961.

La forme libre d’une parole dépouillée habite les vers, scandés au cours du rythme imprécateur bousculé de lettres capitales — seule façon, dans la dactylographie, de faire resortir graphiquement des notions et des mouvements passionnés. La typographie offre d’autres latitudes. Il est tenté, dans la présente réédition, d’accompagner ces pulsions rythmiques et formelles par un jeu sur les styles de caractères et sur leurs couleurs. L’ornementation, rendant compte de l’impossibilité d’orner ou d’illustrer, propose de mettre en regard une certaine désubstantiation de la typographie, la valorisation de héros-pères de la culture dominante d’alors, l’ombre projetée des «derniers seuls» (évoqués par Armand Robin) sur un univers d’objets-sigles.

Parcourir également ces catégories : Poésie, Polychrome
3 - 3 sur 19 résultats