Le Pèlerinage sire Harold, Chants I et II / traduits en vers par Florence Guilhot et Jean-Louis Paul. Texte original en regard. / 186 pages. Paru 9-2001. / ean 9782845050242 / Distribution Hachette
La satiété, qui témoigne parfois d’une incertitude sur le sens des joies consenties au destin humain, conduit Byron, âgé de vingt ans, vers des contrées moins civiles que l’Angleterre où il n’a pas encore droit de cité. Là-bas, vers l’Orient, le soleil, le ciel ont une autre densité ; la noblesse suppose l’héroïsme ; les femmes ont l’œil noir…
Mais le monde est bouleversé, les Muses évanouies, les raisons de vivre et de mourir dissipées, sinon dans l’absurde sacrifice à la Gloire d’un maître éphémère. En 1809, l’Empereur français dévaste l’Espagne ; l’Empire turc opprime la Grèce, que des lords et des artistes dépouillent de ses vestiges. La Nature seule suggère encore les âpres passions de l’époque où coulaient les sources de notre culture, nourrissant «nos premiers rêves». L’horreur, «jamais toute faite», des guerres modernes, couchant des milliers d’hommes en une journée et broyant les êtres au cours de leurs effrois, Ravage seul tonnant dans l’univers rendu précaire, hante ce poème multiple, conçu comme une suite de digressions renvoyant les échos sensibles qui se complètent peu à peu, parfois dans une feinte incohérence, lorsque Byron soutient des conclusions opposées, également éprouvées.
La parution de ces chants I et II, en 1812, rendit Byron célèbre en Angleterre, puis en fit un archétype pour le style, les lettres, la musique du romantisme européen – lequel estompera souvent son ironie, son sens de la satire – ; le conformisme réduira par ailleurs son désarroi à un artifice. La licence de la pensée, cependant, n’exclut jamais une intense détresse : la peine de vivre, le mal d’exister dans un monde qui suit son cours deviennent l’expérience centrale de la poésie.
La traduction tente de restituer le rythme spécifique de la stance anglaise spensérienne : 10 décasyllabes conclus par un alexandrin, qui n'a pas son équivalent dans la prosodie française, et repose sur un jeu de trois rimes entrecroisées.
« Harold pense ainsi comme, des monts, il
Prend son chemin en solitaire guise.
Il songe à fuir le lieu bel et tranquille,
Plus inquiet que l'hirondelle en la bise :
Sans doute ici, un temps, il moralise ;
Méditation va parfois lui parlant ;
Sage Raison l'invite bas : “Méprise
Ta jeunesse assoupie en fous élans !”
Mais contempler le vrai trouble ses yeux dolents. »
(Chant I, stance xxvii, où le rejet du premier vers ne procède pas d'une astuce des traducteurs, mais d'un jeu de l'auteur.