Paru à Paris en 1916, ce livre retrace des processus primordiaux des Première
et Deuxième Internationales socialistes Pour l’auteur, lui-même socialiste français, le
vote des crédits de guerre par la social-démocratie allemande en août 1914,
reconnu comme une cassure majeure du socialisme européen, n’est pas
simplement une «trahison». Il résulte logiquement de l’inféodation stratégique
et bureaucratique du mouvement ouvrier européen à ce que Marx et
Engels avaient défini dès le départ comme la «classe ouvrière la plus développée», – donc «la plus puissante » et dirigeante, formée par ce que des
critiques raillaient alors comme la discipline collectiviste prussienne. Selon
Edmond Laskine, ces présupposés, qui conduisirent à l’éclatement de la Première
Internationale, défendus ensuite par Engels et les socialistes marxistes,
orientent dans la Deuxième Internationale une classe ouvrière enrégimentée par une
industrie qui se révélera être aussi une industrie de guerre et par un «internationalisme» mystificateur. Ainsi le «progrès socialiste» accompagne-t-il
l’idéologie pangermaniste. Les justifications pseudo-scientifiques des
marxistes, relatives au «meilleur» développement industriel, renvoient
moins à une erreur méthodologique (discutée par maintes tendances socialistes)
qu’à la prédilection pour une hégémonie organisationnelle et politique.
Ce livre difficile, émanant de tendances fédéralistes du socialisme français,
peut paraître «chauvin» parfois, sinon germanophobe (sachant que
l’autodéfense contre la barbarie de l’invasion militaire est pensée aussi
comme la préservation de la tradition des révolutions françaises). Mais
alors il témoigne comme en miroir du fait que les représentations nationales
avaient tout au long obéré l’«internationalisme». Cependant, il forme un historique
irremplacé des deux premières Internationales : il recueille force
citations, documents, références ; il analyse le destin de l’A.I.T., ses luttes
entre marxistes, bakouninistes et, plus encore, proudhoniens ; il décrit leur
évolution ultérieure durant la Troisième République. Il reconstitue le long cheminement
vers la Première Guerre mondiale, les atermoiements «diplomatiques»
au sein des partis socialistes. Les caractéristiques d’une aliénation du mouvement
ouvrier à un centre autoritaire et «décevant» (la social-démocratie
allemande), qu’il évoque méticuleusement, ne peuvent être mises en doute.
D’une certaine façon, elles ont préparé les relations d’embrigadement sans
espoir que contrôleront ensuite bolchévisme et stalinisme.