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2. – Céline et le « grand remplacement » (article extrait de Sale Espèce de… Petit lexique des injures et notions racistes des langues française, publié en juin 2019 – voir ce titre).

Évoquer Hergé ramène à l’écrivain Louis-Ferdinand Céline. Émile Brami a fait ressortir les représentations et les relations communes, les partis pris analogues des deux auteurs. Le premier, il a posé l’hypothèse que Hergé a pu lire Bagatelles pour un massacre, et y puiser des termes d’injures racistes. Cette hypothèse a été partiellement confirmée depuis par la publication de notes manuscrites d’Hergé où celui-ci recense des néologismes et locutions présents dans cet opuscule abject (qui connut un grand succès à l’époque et que le milieu intellectuel et journalistique d’Hergé appréciait fort).
    Cependant cette liste ne comporte aucun des substantifs injurieux et à caractère raciste dont É. Brami établit qu’ils sont employés et dans Bagatelles… et dans Le Crabe aux pinces d’or paru peu après. Les substantifs ou adjectifs présents dans ces deux titres participent du fonds commun pamphlétaire et-ou populaire de la fin du XIXe siècle, survivant banalement jusque dans leur époque : références codées, signes de reconnaissance, et simplement – vu l’enracinement et la prédominance des représentations racistes et coloniales – vocables courants de la langue. Hergé n’aura pas trouvé dans Bagatelles… les mots canaille, nougat (argot militaire), sauvage, aztèque, iconoclaste, macaque, canaque, anthracite, cannibale, zouave… Céline n’en est pas le créateur, mais un répétiteur parmi beaucoup d’autres, du plumitif militant aux anonymes piliers de zinc. Si Hergé s’est inspiré de ces lourdes Bagatelles…, c’est par la kyrielle d’insultes enchaînées et par le détournement de substantifs neutres en injures. La verve du capitaine serait un écho de ces procédés céliniens.
    L.-F. Céline doit beaucoup de son importance au fait que le monde littéraire institutionnel a soudain découvert, à la parution du Voyage au bout de la nuit, la langue populaire et argotique qu’il emploie – alors que des foules d’écrivains négligés y recouraient de différents points de vue depuis longtemps. Il est certes une autre mine pour le recenseur d’injures racistes. Il fournirait un lexique à lui seul, pour qui n’y répugnerait pas ; mais peu d’occurrences, car révélatrices d’une tradition plus large et influentes aujourd’hui, sont mentionnées dans ce lexique qui s’attache aux faits communs, reproduisant et continuant à la fois des représentations partagées.
    Quelques notions, pour la mise en perspective, proviennent de Bagatelles pour un massacre, dont je n’ai pas acquis un fac-similé pirate dans une officine obscurantiste, texte auquel on accède sur Internet sans connections occultes. Édités dorénavant en livres officiels à estampilles et droits d’auteur, ces ouvrages ne feraient sans doute pas succès : qui voulait vraiment les a déjà lus ; pourquoi les liraient ceux à qui ils répugnent ? On en retire vite une idée, suffisante. L’agitation médiatique récente autour de l’hypothèse de publication de ces immondices par les Éditions Gallimard ne s’est pas arrêtée sur un point remarquable : cette notion très enracinée de « pamphlets antisémites » de Céline, qui les rend sulfureux comme un interdit ou un classique enfoui dans l’Enfer de la Bibliothèque nationale.
    Si Littré définit le pamphlet comme « un petit livre de peu de pages », qui « se prend souvent en mauvaise part » (écrit insultant odieusement une entité légitime), la tradition du bref libelle frondeur acquit définitivement avec Paul-Louis Courier ses lettres de noblesse – sa noblesse de grand genre littéraire ! Pascal, Voltaire, Chateaubriand, Courier, Vallès, Darien écrivirent des pamphlets qui n’eurent pas une influence seulement livresque ; et encore les hérétiques et athées du XVIe siècle, et les prêcheurs moralisateurs des XIVe-XVe siècles. Et Rutebeuf et d’autres auparavant… Ceci pour les lettres françaises.
    Parler de pamphlets s’agissant des Bagatelles…, si l’on adopte l’acception littréenne d’écrit assez méprisable, minimise ces textes par rapport au corpus global de l’œuvre de Céline, comme de petits livres négligeables : une façon d’éluder, de gommer, de ne pas voir. Et ceci revient à tenir le « sémitisme » comme une légitimité dominante que des « pamphlets », odieux certes, auraient vilipendée : exactement le présupposé antisémite qui obsédait alors l’extrême droite. Mais c’est le sens de genre littéraire reconnu qui semble le plus accepté aujourd’hui, et il implique d’une autre manière le même préjugé délétère.
    Voici Céline inscrit dans la lignée prestigieuse des auteurs de pamphlets. De pamphlets ? On avait jusque alors pamphlétisé contre des pouvoirs, des tyrans, des dogmes religieux, des écrivains conformistes, tendancieux ou concurrents. Le pamphlet est un genre à argumentations raffinées, précises, contre une force effective. (À propos, qu’ont fait les fascistes des années 1930, les nazis, des pamphlets contre eux, et de leurs auteurs ?)
    Bref le pamphlétaire, ce héros – du style - stylet - stylo –, se lève seul dans l’anonymat, la censure, l’opprobre, l’incognito, contre des forces tentaculaires, écrasantes. Étincelle prometteuse, héroïque, salutaire peut-être, si le genre humain était moins dur d’oreille, le pamphlet paraît, ou du moins s’élabore, pour les siècles futurs dans sa gloire – ou pour l’indifférence et l’oubli, ingrat ou justifié, c’est selon.
    Sans parler des désignations nominales dans le cours de ses articles, Céline a dénoncé aux services d’Occupation des Juifs et des militants communistes, au moins deux cas sont établis. Le délateur a bénéficié d’une orientation hyper-autoritaire écrasante, de moyens promotionnels et financiers colossaux, d’une insertion dans un milieu qui avait alors le pouvoir et le vent en poupe (on a vu ce qu’il en a fait, de ce pouvoir). Céline n’allait pas à contre-courant, malgré sa rhétorique de proscrit victime, mais nageait dans le courant, cynique et retors. Il n’a pas écrit des pamphlets, mais de la littérature aux ordres (aux ordres qui étaient dans l’air, par un zèle d’« idiot utile » qui fut, d’abord, récompensé).
    Ses justifications des pogromes passés suffisent, son irresponsabilité criminelle. Les « abominables pogroms », écrit-il dans ses Bagatelles…, les « persécutions séculaires » offrent aux Juifs [dans cet article, les pâssages soulignés sont de Céline]

« leur alibi gigantesque ! C’est la grande tarte ! Leur crème ! On me retirera pas du tronc qu’ils ont dû drôlement les chercher les persécutions ! Foutre bite ! Si j’en crois mes propres carreaux ! S’ils avaient fait moins les zouaves sur toute l’étendue de la planète, s’ils avaient moins fait chier l’homme ils auraient peut-être pas dérouillé !... Ceux qui les ont un peu pendus, ils devaient bien avoir des raisons... On avait dû les mettre en garde ces youtres ! User, lasser bien des patiences... ça vient pas tout seul un pogrom !... »

     On appréciera le « un peu pendus ».
    En qualifiant ces délires opportunistes de « pamphlets antisémites », on semble dire que le « sémitisme » serait un « pouvoir » ou une « idée » contre lesquels d’autres pouvoirs ou d’autres idées auraient motif de produire des pamphlets. C’est assurément le présupposé des antisémites, célinolâtres ou non. On le reproduit sans y penser.
    Or antisémitisme se forme au sens : idéologie antisémite ; antijudaïque ; donc idéologie raciste ou génériste : on ne fait pas un « pamphlet » contre une race, ou un genre. Elle, il existent ; ce ne serait pas un pamphlet, modèle littéraire un peu osé, qu’un texte qui recommanderait de massacrer les Blancs, ou quiconque… Ce serait un appel au meurtre – et, de nos jours, un délit raciste.
    N’est-ce pas pourtant ce qu’on implique en répétant : le professeur Y va rééditer et préfacer les pamphlets antisémites de Céline ? En somme, l’antisémitisme serait une tradition partisane, marquerait la défense d’une thèse, d’une opinion, également défendable, contre le fait qu’être sémite constituerait déjà en soi une opinion discutable, et ipso facto condamnable, si telle est notre conclusion.
    Quelles que soient les extrémités d’insultes que le genre du pamphlet a dictées, il reste que la vindicte obsessionnelle et de facto offensive ressort exceptionnellement des « pamphlets » de ce serviteur fasciste. Qu’on n’évoque pas le pacifisme des années 1930 qui l’aurait conduit, pour ne pas revoir les horreurs de la Der des ders, à la hantise d’un conflit qu’il aurait voulu prévenir. La mouvance négationniste à partir de 1950 répétera les falsifications de Céline, qui en a fréquenté des représentants (dont son ami A. Paraz), selon lesquelles les Juifs voulaient la guerre, et que c’était cela qu’il dénonçait alors. Mais quel pacifisme est-ce là ?

« Je lui apprends tout de suite d’emblée que je suis devenu antisémite et pas un petit peu pour de rire, mais férocement jusqu’aux rognons !... à mettre tous les youtres en l’air ! »

On apprécie la polysémie de la délicate opération.

« Charles Martel, qu’était pas fou, quand les nègres lui parlaient de la sorte pendant la bataille de Poitiers, il leur ouvrait à tous la gorge... »

    Qu’entendait donc Charles Martel pour lancer son massacre ? Ce que, selon Céline, intimeraient les Juifs des années 1930 aux Blancs de la vieille France : « “Si les Français sont pas contents, nous les ferons sortir.” »
Car les Juifs voudraient « détruire tout, et l’homme blanc d’abord ».
« La mise en ghetto des Aryens ne saurait tarder… Sous férule nègre. »
    Le « grand remplacement » des années 2000 ne fait que radoter cette hantise fantasmatique : son inanité intellectuelle élude-t-elle ou revendique-t-elle les antécédents et les avertissements massivement meurtriers de cette menace implicite ? La référence obsessionnelle au fantôme de Charles Martel ignore que la « bataille de Poitiers », moins mythique que l’image distribuée aux enfants des écoles, a scandé, sans en marquer la fin, une lutte d’influence pour le contrôle de l’Aquitaine alors indépendante et tiraillée entre des allégeances concurrentes (franques et omeyyades) ; et surtout, elle a opposé les armées constituées de pouvoirs féodaux analogues.
    Une autre répétition concerne le racisme antiraciste. Dans les années 1930, Céline n’était sans doute pas seul à attribuer aux « Juifs » un racisme anti-goye, contre les non-juifs, par lequel il prétendait justifier son délire et faire valoir l’urgence de ses solutions.

« C’est contre le racisme juif que je me révolte, que je suis méchant, que je bouille, ça jusqu’au tréfonds de mon benouze !... Je vocifère ! Je tonitrue ! Ils hurlent bien eux aux racistes ! Ils arrêtent jamais ! »

    Ici encore, l’extrême droite actuelle débite à n’en plus finir des calques de cette gymnastique alarmiste : il suffit de remplacer « le Juif » de 1930 par « l’Arabe » d’aujourd’hui.
    La même indignation purulente de Céline lui fait écrire à propos d’Hitler :

« C’est les Juifs chez nous qui le provoquent... C’est leurs crosses et leurs ambitions... C’est pas du tout, du tout les nôtres... Moi je voudrais bien faire une alliance avec Hitler. Pourquoi pas ? Il a rien dit contre les Bretons, contre les Flamands... Rien du tout... »

Céline était mal informé : Mein Kämpf méprisait les vieux-Français, ses considérations à leur propos furent escamotées de la traduction qui leur fut distribuée. Céline lui-même, qui range ses « frères de race » parmi les aryens, n’est pas en reste d’incohérence : « dans l’occasion, [ils] se montreront, c’est certain, cent mille fois plus abjects que n’importe quels youtres… », c’est dire… car son « peuple français » est avili au niveau de « rebut physiologique ». Voici un cas inattendu de racisme anti-français… Avec l’éclatement syntaxique et le vocabulaire multi-référentiel, sexiste et scatologique de son style, Céline surprend à en appeler à l’exemplarité d’une cohérence traditionnelle du « français » – seul critère pour parler de « dégénérescence ».
    Il est de peu d’importance que l’on publie ces appels au meurtre obsessionnels, puisque déjà les lisent partout quelques stylophiles amateurs de vocabulaire à points de suspension et, sans doute, maints fâcheux plus ou moins lettrés – et pas seulement dans ces « œuvres » de Céline.
    Mais qu’on ne les assimile pas au noble genre littéraire du pamphlet, où parfois l’être en lutte, souffrant, bâillonné, ni lu ni entendu ni compris, a laissé quelques traces d’esprit libre et d’humanité.


***


Les développements idéologiques autour du « grand remplacement », de la « soumission » de la France à une « conquête » migratoire, apparus en force à partir des années 1990, rédupliquent les obsessions fascistes de la première moitié du XXe siècle. L.-F. Céline dénonçait une « colonisation » par des « Juifs négrifiés », dans un amalgame récurrent entre tous types ethniques africains et orientaux :
    « Le Juif est un nègre, […] le produit d’un croisement de nègres et de barbares asiates » « Le Juif “négrite”, bien plus bas que le nègre. » (Bagatelles…).
Mais Céline est loin d’être une exception : les faits anciens mentionnés dans le lexique [Sale Espèce de…] attestent une identification entre Africains « noirs », Arabes et Maghrébins, amalgamés et devenus « synonymes » de nombreux travers, devenus noms de ces travers en dehors même de toute identité ethnique.
    Céline a agité avec son style la banalité de ces propos ; beaucoup de son vocabulaire et de ses considérations répète des locutions argotiques, familières ou pamphlétaires, qui étaient populaires depuis la fin du XIXe siècle. Faire ressortir cette imitation souligne l’indigence socio-culturelle de représentations aujourd’hui très répandues, que ce soit par des intellectuels à succès, sous des dehors sociologiques et diplomatiques, ou dans la virulence belliciste des extrêmes droites.
    Comment appréhender des mouvements démographiques (des mouvements humains) majeurs de l’avenir avec des représentations archaïques liées à des États-nations circonscrits, plongés alors dans une crise qu’elles n’ont pas su assumer ? Qu’elles ont alimentée jusqu’au désastre ?

*

1. – Communiqué, adressé directement à quelques destinataires et proposé à un site de publications littéraires qui ne l’a pas accepté, n’y ayant pas tout compris. J’en établirai quelque jour une explication de texte.

1. – Comment laisser Rimbaud à son destin ?

« Maintenant je suis maudit, j’ai horreur de la patrie. »

« Ce serait la vie française, le sentier de l’honneur. »

Intervenir dans les « débats » assenés périodiquement par leurs professionnels pour favoriser en fanfare quelque pseudo-événement porteur d’affaires – n’est pas dans nos habitudes. Mais que cet «Établissement» – apparatchiks en majorité, notoriétés culturelles pour le reste – menace de « panthéoniser » Arthur Rimbaud, voici qui nous interpelle, puisqu’il ne s’agit pas d’une plaisanterie dadaïste tardive, comme on aurait pu le croire d’abord. Déjà nous submergent les circonvolutions de oui-non-oui, que balancent des contre-pour-pour et destinées à faire accroire que discussion bien pesée se livre sur cette grave question ; leur seule perspective, en citant tout partiellement pour le désamorcer totalement, est d’imposer ce qui, d’emblée et sans appel, la contredit à l’évidence.


« Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie »


Ces vers suffisent. Ils obligent tout esprit décent à respecter le douloureux désir d’absence, de disparition, qui habitait Rimbaud.
Banal coup éditorial (la panthéonisation relance les ventes de livres d’un auteur et plus encore celle des livres à son propos), l’appel à cette cérémonie monte au créneau à la veille du cent-cinquantenaire de la Commune de Paris, où la IIIe République s’est illustrée comme on sait, ou devrait le savoir. Et les poèmes de Rimbaud à ce propos ne justifient certes pas la barbarie bourgeoise, militaire, épiscopale qui faisait la France de son temps.
Cette France, parmi les 78 «héros», dont beaucoup d’oubliés, qu’aligne le Panthéon parisien à ce jour, compte une vingtaine de militaires et une trentaine de hauts dirigeants politiques, sans parler de quelques scientifiques dont l’apport au progrès moderne ne participe pas nécessairement à celui du vivant. Passent indifférents les écrivains académiques, institutionnels, populaires, souvent férus de consécrations.
Mais tel n’était pas le cas, c’est notoire, d’Arthur Rimbaud – qui depuis aura accompagné et encouragé fraternellement nombre d’inconnus révoltés de la normalité, de laissés-pour-compte, de déclassés, de fugueurs, de chercheurs d’horizon. Sans doute la reconnaissance rimbaldienne se sera éprouvée davantage parmi ces anonymes que parmi ses commentateurs autorisés, et souvent malveillants, en tout cas trop rangés pour le comprendre en vérité. Ses lecteurs authentiques peut-être hausseront les épaules, si


« Rien de rien ne m’illusionne »


Car n’est-ce pas accorder, agréer pour cette bâtisse nationale une valeur qu’elle s’attribue et qu’elle n’a pas, comme on devient crédule en caricature au prétexte de dénoncer la crédulité sur des symboles antiques exploités en fixations opportunistes ?
Ou ils se souviendront que


« L’Ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux
Et de sa drague en feu laisse filer les astres! »


Ce fragment de «L’homme juste», écrit peu après l’«orgie parisienne», ne désigne pas bien sûr ceux que l’on appelle les «justes» depuis la Seconde Guerre mondiale, et qui sauvèrent des Juifs lors des persécutions nazies et pétainistes («françaises»). Mais, en particulier, c’est la statue fantomatique du «barde» hugolien, lâche durant la Commune ; et, surtout, les socles prétendus du hideux conformisme d’alors :


« Socrates et Jésus, saints justes, dégoût! »


Et il leur intime :


« Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes. »


La civilisation panthéone dont prétend s’honorer la France aujourd’hui encore, entre frime décontractée et immobilisme traditionnel, qui se prétend fière d’avoir produit quelques génies pour la bafouer, ira-t-elle scander le dernier vers de ce fragment, souvent et longtemps censuré des éditions courantes :


« Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès! »


Jean-Louis Mohand Paul
12 septembre 2020

Toutes les mentions en italiques sont d’Arthur Rimbaud.

 

1 bis. – Maintenant que voici la « polémique » bien établie, qu’il soit permis à l’obscur écrivant d’ajouter ces quelques points, en référence à l'exposé en défense que les promoteurs de cette ineptie ont publié dans Le Monde du 25 septembre 2020 :

S’il s’agit de « désinstitutionnaliser » le Panthéon, le plus simple est de n’y inclure plus personne : trop simple pour des institutionnels (anciens ministres, grands gérants du culturel, « plumes » d’État, etc.) qui devraient préalablement se « désinstitutionnaliser » eux-mêmes, si la pratique les inspirait vraiment. Et contester des institutions de l’intérieur, tactique opportuniste et combien réversible, bon prétexte en tout cas, ne s’est jamais fait post mortem. Rimbaud n’en était pas.
Afin de « faire débat », on assiste à une sexualisation instrumentalisée de la question. Pour complaire à de récentes conventions, on spécialise sur le genre. S’il s’agit de panthéoniser un ou des homosexuels, on en trouverait, – dans l’Église, l’armée, les académies –, de plus représentatifs de ce système étatique « national » que le panthéon napoléonien prétend immortaliser pour l’édification de ses sujets.
S’il s’agit d’intégrer les poètes, qu’importe que, sur ce plan, ils aient, comme tout un chacun, été ceci ou cela ou les deux ? C’est par leur œuvre que Rimbaud et Verlaine vivent dans certaines mémoires – et se manipulent dans d’autres.
Ce qui leur fut motif de honte et d’opprobre de leur vivant est tardivement utilisé en vertu commode pour éluder la contradiction absolue que portent la révolte rimbaldienne et l’inengagement verlainien devant toute institution dominante.
Plus important, leurs œuvres respectives n’ont pas formé une œuvre collective, quelle qu’ait été leur importante relation littéraire. Ce serait la seule création qui motiverait de les sacraliser ensemble.
Pour un enjeu plus actuel, la plume de Jacques Chirac pointe dans la caricature figarotiste de « quelques soixante-huitards forcément attardés ». Qu’un peu de Rimbaud ait revécu durant ce printemps lointain n’a certes pas empêché que participer de la domination la plus stérile donne encore bien du pouvoir pour proscrire, comme toujours au prétexte de pseudo-hardiesses qui dorénavant ne gênent plus personne.
Eh ! bien, Rimbaud n’a pas plus de commun avec le Panthéon que ses écrits avec cette plume-là.

J.-L. M., 25 septembre 2020.