[Luttes agraires et ordre bolchevik, 1919-1921] Paru avril 2000. 211 pages. / i.s.b.n. 2-84505-009-7 / ean 9782845050099 / Distribution Hachette
Les luttes paysannes – de la résistance à l’insurrection – auxquelles furent confrontés les bolcheviks après Octobre 1917 ont longtemps été occultées. Aujourd’hui encore, les crimes de la bureaucratie fondatrice à l’égard des masses rurales – réquisitions, expropriations, déportations et fusillades – sont justifiés plus ou moins implicitement, quand on admet leur existence, comme «crimes de classe» : une classe «révolutionnaire», suggère-t-on, aurait dû défendre, avec les moyens adaptés, son projet «utopique» contre une «réaction» paysanne.
Dans la partie liminaire de cet ouvrage, J.-L. Van Regemorter montre qu’une «révolution paysanne unique» commencée sous le tsarisme, outre qu’elle contribue à expliquer 1917, a poursuivi ses objectifs et sa stratégie contre l’appropriation étatique du bolchévisme. La seconde partie recueille des documents historiques traduits pour la première fois en français. Rapports de militants socialistes-révolutionnaires, tracts et appels d’insurgés, et surtout consignes, notes, mémoires internes de bolcheviks dessinent en creux l’histoire non écrite de l’«Antonovchtchina», l’insurrection du paysannat dans la province de Tambov en Russie occidentale de 1919 à 1921. Les réquisitions de l’ordre militaro-bureaucratique, incompétent, prédateur, menées jusqu’à la famine et la déstructuration de la production agraire, ressortent à la fois des descriptions hostiles aux bolcheviks et des rapports et dissensions de ces derniers, qui les pratiquaient à grande échelle. Nous ne sommes pas en 1937, ni en 1956, mais en 1921, et l’autodénonciation cyclique de la bureaucratie s’instaure avec celle-ci même. À ce système correspondent d’emblée une planification, naïvement préconisée sans fards, de la terre brûlée par le haut, de l’omniprésence policière, de la coercition dogmatique, des déportations civiles, enfin le projet, méthodiquement consigné, débattu, appliqué, de «déployer la terreur rouge jusqu’à des proportions massives» (Antonov-Ovséenko). L’ordre n° 130, de Toukhatchevski, est à cet égard éloquent. Dans les maladroites circonlocutions de son zèle glacé, il faut lire les ordres et contre-ordres manipulateurs, les concessions et les consignes secrètes de l’appareil en guerre contre une société insurgée. Ce fut la construction d’un «monde nouveau», «désert et ténébreux», habité par «des esclaves affamés, nus et sans voix» : ses moyens s’identifiaient à sa fin. Édition présentée et annotée par Régis Gayraud.