On ne présente pas ce poème de 1898 considéré comme l’un des plus grands des lettres anglaises. Cette nouvelle tentative de transposition, au-delà de la vieille querelle insoluble sur la traduction poétique ou non, admet ne pas toujours tout restituer des mots et de leurs jeux, de déplacer des notions, de suggérer des équivalents. On reconstruit aussi une forme, un rythme de ballade (strophes octosyllabiques ponctuées par un hexasyllabe), des relations substantielles et sonores, que l’on espère susceptibles de porter le propos essentiel et passionné du texte de départ. Une fois admis le principe de cette démarche, on entre dans la reconstruction, ou non. Ce qui est certain, c’est qu’à ne pas tenter l’aventure on ne lit pas en français un poème. Par exemple du vers In Reading gaol by Reading town, on pourra dire infidèle de le traduire par «Dans la prison près de Reading», protester que se perdent l’importante insistance de la précision topographique, et plus gravement l’air très évident de comptine de ce vers faussement léger. On aura absolument raison, quitte à refuser d’entendre le rythme, et que les allitérations (près - pri - Rea / dans - de- ding) établissent peut-être une équivalence formelle, à tout le moins la suggèrent, renvoyant en outre au «Dans la prison de…» d’une vieille ballade française. Au lecteur qui ne souhaite pas jouer le jeu, on ne prétextera pas que la double mention de Reading et l’analogie gaol et town n’ont pas du tout pour objet d’informer sur ce que l’on sait déjà, mais de construire cet air de chanson — ni que c’était cet air qu’il fallait transposer, sinon traduire, du moins rappeler, ce que la littéralité ne pourrait atteindre, exposant au contraire la lourdeur d’une redondance devenue inutile, nous condamnant à perdre quelque chose, ici ou là. Et puisque l’on admet de perdre, c’est-à-dire que l’absolue littéralité poétique est une légende, il ne nous semble pas inconcevable d’essayer de retrouver le plus possible, ici et là, dans un prisme donné… (J.-L. P.)
Dans la prison près de Reading,
Il est un sépulcre honteux ;
Et là repose un misérable
Que dévorent des dents de feu ;
Son linceul en flamme, il repose :
Pas de nom, nul adieu.