Mouloud Feraoun • Les Chemins qui montent

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« Dans neuf foyers sur dix le réveil sera maussade, frileux et triste. Il faudra faire taire les gosses à coups de taloches, échanger d’aigres propos, souffler sur le bois vert qui ne veut pas prendre, affronter, avec la chair de poule, la jarre glacée pour se mouiller les mains et le bout du nez, et par-dessus tout se dépêcher de trouver la vie belle, découvrir sur-le-champ de bonnes raisons de vivre, se créer son petit rêve quotidien et tout de suite y croire. Alors on sera tout à fait éveillé, prêt à jouer la comédie. La question, pour moi, est de décider si précisément je vais continuer de jouer la comédie.» Car la vie ne semble plus qu’une comédie statique dans le village kabyle des années 1950, telle que Mouloud Feraoun en décrit les usages : rigueur des conditions quotidiennes, contrôle des mœurs par des ascendants suspicieux et médisants, hypocrisie des références religieuses, poison insidieux des tabous, oppression des haines claniques, absence de perspectives autres que l’exil décevant au pays colon. L’écrivain francophone campe deux figures du métissage : un jeune Kabyle de mère française, dont le mal de vivre, après son retour de France, prend en dégoût son pays natal ; une jeune fille que les Pères Blancs ont faite chrétienne. Leur amour souffrira de l’environnement psychoculturel, et ces êtres paraissent emblématiques de l’écartèlement éprouvé par les sociétés kabyles : leur passé se dissout, perd sa légitimité, dans l’adaptation à un monde complexe aux lois exclusives ; et aucun avenir ne se dessine.

Paru en 1957, ce roman fut accueilli par la critique française d’une façon ambiguë : on privilégia le thème de l’incommunication entre les êtres bouleversés par leur désir, et qui pour une lecture superficielle surpassait la question coloniale (l’auteur «progressait», «dépassait» cet aspect «particulier»). Or, en filigrane du drame passionnel, ce sont les déchirements de l’histoire franco-algérienne qui falsifient les relations entre des aspirations contradictoires. L’intrication des deux dimensions est le fil conducteur de ce livre.

Dans une lettre à son éditeur au Seuil, Paul Flamand, l’auteur écrivait, le 31 mars 1956 : « Dans Les Chemins qui montent, ce que j’ai voulu dépeindre, ce n’est pas le roman d’amour…, c’est le désarroi d’une génération à demi évoluée, prête à se fondre dans le monde moderne, une génération digne d’intérêt, qui mérite d’être sauvée et qui, selon les apparences, n’aura bientôt d’autre choix que de renoncer à elle-même ou de disparaître.»

Francophile et partisan de l’indépendance algérienne, critique contre l’autoritarisme et la violence du FLN, Mouloud Feraoun, peut-être le plus grand écrivain kabyle francophone, témoigne d'une autre façon de cette situation impossible. Il fut assassiné à Alger par l’OAS à la veille du cessez-le-feu du 19 mars 1962.

 

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